Pourquoi les artistes Japonnais restent chez eux ?

groupe babymetal japon
Groupe de metal japonnais Babymetal / @Georgina Hurdsfield

Malgré son immense richesse et la fascination qu’elle suscite à travers le monde, la musique japonaise reste largement cantonnée à ses frontières et donc, elle s’exporte très mal ! Si quelques groupes et artistes réussissent à attirer des publics internationaux, les tournées et la disponibilité numérique de la musique restent rares. Héritière d’une culture musicale profondément enracinée dans le marché local, l’industrie japonaise est freinée par des échecs passés, une réticence au changement, et une stratégie conservatrice axée sur les ventes physiques. Cet article explore les multiples facettes de cette timidité internationale et les perspectives d’évolution d’un secteur en pleine mutation.


Pourquoi les musiques ne s’exportent pas ?

Un marché intérieur autosuffisant

Le Japon dispose du deuxième marché musical mondial, ce qui a longtemps réduit la nécessité de s’internationaliser. Dans les années 1990, les ventes de CD au Japon atteignaient des niveaux impressionnants, surpassant même celles des États-Unis pendant une courte période. Selon les données statistiques annuelles la Recording Industry Association of Japan, il s’était vendu 276,2 millions d’albums CD au Japon en 1999, et 61,1 millions de singles. Il s’est également vendu 86,3 millions de mini-discs et 17,6 millions de cassettes. Cette domination des ventes physiques persiste encore aujourd’hui : les CD restent un format standard dans le pays, bien qu’ils soient délaissés ailleurs​.

Une femme découvre de la musique à l'intérieur de Tower Records, une chaîne emblématique de magasins de musique au Japon, reconnue pour sa vaste collection et son rôle dans la culture musicale japonaise.
Une femme écoute de la musique à l’intérieur de Tower Records, un magasin de musique populaire au Japon. (Photo : The Korea Herald)

Ce modèle repose sur des stratégies commerciales locales, où les labels japonais privilégient les produits tangibles comme les CD ou les goodies. Exporter ces supports à l’international est coûteux et peu rentable, ce qui freine la diffusion de la musique japonaise au-delà de ses frontières​


Des barrières technologiques et légales

La transition vers le numérique a été lente au Japon. Les lois strictes contre le téléchargement illégal, qui criminalisaient non seulement le partage mais aussi le simple acte de télécharger, ont freiné l’adoption de services comme iTunes ou Spotify. Les consommateurs japonais, méfiants envers les formats numériques, sont restés attachés aux CD bien après que le reste du monde ait adopté la musique dématérialisée​

Ce retard a également impacté la disponibilité de la musique japonaise à l’étranger. De nombreux labels restent frileux à l’idée de distribuer leur catalogue sur des plateformes globales, par peur d’une réception mitigée ou d’une perte de contrôle sur leur contenu​​


Un héritage culturel et musical complexe

L’exportation de la musique japonaise est ancrée dans un contexte culturel et économique qui rend les efforts d’internationalisation délicats. Dans les années 1980, Pink Lady, un duo de pop japonais, a tenté une percée aux États-Unis, mais leur show télévisé et leurs performances furent des échecs retentissants, laissant une impression de maladresse dans leur adaptation à l’audience américaine. Ce souvenir reste gravé dans l’industrie musicale japonaise, alimentant une méfiance envers les tentatives de globalisation.

Le duo de pop japonnaise Pink Lady, qui a souffert de l’échec de son exportation

De manière similaire, des stars comme Utada Hikaru et Koda Kumi ont vu leurs singles en anglais mal accueillis, bien que leurs carrières soient immensément réussies au Japon. Hikaru Utada, malgré ses ventes records et son statut d’icône, n’a pas réussi à reproduire ce succès à l’international, en partie à cause de la barrière culturelle et des choix musicaux jugés trop distincts pour le public occidental.

L’industrie musicale japonaise est par ailleurs fortement influencée par des genres occidentaux tels que le rock, le jazz ou la pop, ce qui crée parfois une confusion dans la perception de ces artistes. Cette hybridation musicale est perçue par certains comme un manque d’authenticité, réduisant leur impact potentiel à l’étranger. Les dirigeants des labels japonais, souvent conservateurs, continuent de voir la pop et le rock comme des « produits occidentaux », limitant leur ambition à rivaliser avec des artistes internationaux. Cela reflète également une certaine réticence culturelle : l’idée de préserver une identité unique, plutôt que de risquer de diluer le style japonais en s’adaptant à des goûts mondiaux perçus comme homogènes.

Pourquoi il n’y a pas de tournées mondiale ?

Une timidité face aux tournées internationales

L’organisation de tournées internationales représente un défi majeur pour les artistes japonais, même pour ceux jouissant d’une grande renommée comme X Japan ou Babymetal. Cela est dû à des coûts logistiques élevés et à un soutien limité des labels. Ces difficultés freinent l’expansion de leur base de fans en dehors du Japon, en contraste avec des stratégies proactives comme celles adoptées par la K-pop, qui s’appuie sur une planification rigoureuse et des partenariats locaux pour maximiser la visibilité à l’étranger.

Les artistes japonais qui parviennent à s’exporter doivent souvent surmonter des obstacles culturels et structurels. Par exemple, Babymetal a réussi à captiver des publics internationaux grâce à une fusion unique de métal et d’éléments de la culture pop japonaise. Le groupe a rempli des salles emblématiques comme Wembley Arena et le Tokyo Dome, et a participé à des festivals prestigieux tels que Hellfest et Download Festival. Cependant, ces succès restent des exceptions plutôt que la norme, en partie à cause du manque de vision globale des labels musicaux japonais, davantage axés sur le marché domestique lucratif​

Concert de Babymetal au Hellfest 2024 à Clisson / @ ArteConcerts

Une lente ouverture vers le numérique impulsée par les animés !

Les animés ont joué un rôle crucial dans la popularisation de la musique japonaise à l’international. Les génériques de séries comme Demon Slayer, Naruto, et l’attaque des Titans ont non seulement marqué des millions de spectateurs, mais aussi servi de passerelle vers des artistes comme LiSA, le groupe Linked Horizon, ou encore Mrs. Green Apple. Ces artistes ont bénéficié de l’exposition mondiale offerte par ces productions. Par exemple, le titre Gurenge de Lisa, générique de Demon Slayer, a largement contribué à leur notoriété internationale, atteignant des millions de streams sur Spotify.​

Version First Take de la musique Gurenge de Lisa, générique de Demon Slayer

Malgré cet élan, l’industrie japonaise reste prudente dans son adoption des plateformes numériques. Historiquement réticente à proposer son catalogue sur des services comme Spotify ou YouTube, elle commence toutefois à s’ouvrir sous la pression d’une demande internationale croissante. Des groupes comme Sim ou encore One OK Rock, choisi pour faire la première partie de Linkin Park au Stade de France, montrent que l’exportation de la musique japonaise est possible avec des partenariats stratégiques et une adaptation aux attentes du public mondial​.

En somme, si l’industrie musicale japonaise fait encore preuve de réserves dans ses démarches internationales, les succès récents et l’impact durable des animés la poussent progressivement vers une plus grande ouverture. Cette transition, bien que lente, laisse entrevoir un potentiel énorme pour les artistes nippons sur la scène mondiale.

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