Slim Shady, l’alter ego d’Eminem, connu pour ses paroles provocantes, violentes et souvent humoristiques. Créé à l’origine pour exprimer les pensées les plus sombres et controversées du rappeur, Slim Shady aborde des sujets tels que la drogue, le meurtre et les critiques acerbes de la société. Ce personnage a suscité la controverse en raison de son langage cru, de ses thèmes choquants et de sa capacité à pousser les limites de la décence, choquant souvent le public et les autorités.
Cette provocation délibérée a cependant aussi contribué à son succès et à sa notoriété mondiale. Quand les politiciens conservateurs mettent la superstar de Detroit sur le même plan que Ben Laden, cela montre simplement que l’expression médiatique de Slim Shady a été plus que réussie. Avec des vidéos pleines d’humour noir et des textes incitant au meurtre, il choque consciemment le public strict des États-Unis dès le départ. Il endosse différents rôles pour refléter les doubles standards d’une Amérique à la langue bien pendue.
La résurrection après une période difficile
Plus de dix ans se sont écoulés entre le dernier LP réussi d’Eminem, le (Marshall Mathers LP2), et Revival, un atterrissage raté sous forme d’album. Mais avec sa prestation la plus faible en tant que musicien, le rappeur de Detroit a retrouvé sa motivation perdue et a décidé de sortir ce qui semble être une vraie résurrection artistique. Désormais, avec la suite de son dernier album, Music to Be Murdered By, il est prêt à abandonner définitivement son personnage avec son douzième album studio, The Death of Slim Shady (Coup de Grâce). Le titre à lui seul porte plus de poids thématique que n’importe lequel de sa carrière (de 25 ans), suggérant un climax dramatique à la narrative continue de ses doubles personnalités.
Retour aux Sources avant la Fin
Avant de tuer son alter ego, comme il l’a promis ces dernières semaines, Eminem doit se remettre dans ses chaussures. Il le fait dans la vidéo d’un titre correct, “Houdini”, le premier single de l’album. Le clip vidéo, réalisé par Rich Lee, s’ouvre sur un message du manager du rappeur Paul Rosenberg, qui le lâche après avoir entendu l’album : “Hey Em, c’est Paul. J’ai entendu ton album. Bonne chance, tu es seul maintenant !” Alors que le refrain “Guess who’s back?” commence, Dr. Dre l’avertit qu’un tunnel spatio-temporel s’est ouvert dans la ville d’où a émergé son alter ego Slim Shady, de 2002.
Eminem affrontant Slim Shady dans le clip promotionnel de la track Houdini // Youtube
À ce moment-là, dans une référence continue entre le présent (l’Eminem avec la barbe et les cheveux noirs) et le passé (le Slim Shady blond), l’apparition de divers invités, dont Snoop Dogg et Pete Davidson, et diverses piques, le rappeur prend le rôle d’un Robin-like du super-héros Rap Boy pour sauver le monde du très vulgaire Shady.
Entre luttes intérieures et provocations
Comme Eminem l’a tweeté, il s’agit d’un album conceptuel. “Renaissance” revient à la voix de Slim Shady de 99 alors qu’il aborde des thèmes de critique et de valeur personnelle dans l’industrie moderne du hip-hop. D’autres appelleraient cela se plaindre, mais il navigue à travers son mépris pour les détracteurs qui scrutent des œuvres comme celles de Kendrick et Ye, notant que les critiques “trouveraient quelque chose de mal avec 36 Chambers”, soulignant ainsi la nature souvent déraisonnable de l’opinion publique. Grandis, Marshall. Les gens auront toujours quelque chose à dire.
“Habits” suit la même veine avec le beat trap avec White Gold au refrain, tandis qu’il aborde l’addiction et l’humour cru et critique les problèmes sociaux modernes avec une précision acerbe, visant tout, des pronoms de genre aux comportements sur les réseaux sociaux.
Un album d’introspection
Après l’interlude criminellement court de “Trouble”, on obtient un traitement Encore avec “Brand New Dance”, et d’un point de vue sonore, c’est là que l’album manque de direction. En commençant par une mésaventure humoristique (“Je viens de me faire prendre en train de me branler par ta mère”), il donne le ton à une piste qui se moque de diverses catastrophes sur une ambiance de fête contagieuse qui semble ridicule rétrospectivement.
“Evil” plonge dans le psychisme sombre et non filtré d’Em, offrant une exposition réfléchie mais hyperbolique de son état mental et de ses lapsus dans l’agression et la controverse, oscillant entre colère, regret et humour sombre, démontrant l’habileté inégalée du rappeur en narration et complexité lyrique.
La chimie créative avec Dr. Dre continue sur “Lucifer” où Eminem alterne entre ses personnages, luttant avec son identité fracturée et son passé tumultueux, comme en témoignent les lignes livrées avec clarté mais chaos, y compris “Mes disciples sont comme une secte satanique / Ouais, ils m’écoutent, comme quand Manson parlait”, dépeignant finalement le rappeur comme un provocateur et une victime de son propre succès, avec une énergie implacable.

Dr. Dre en studio : le légendaire producteur de rap fait un retour triomphal aux côtés d’Eminem pour “The Death of Slim Shady (Coup de Grâce) // Photo prise via Youtube
“Antichrist” présente une autre performance lyrique controversée et conflictuelle alors qu’il proclame : “Gen Z had a comin’ out, ’bout to unlock rounds / Prr-rrr-rrr, pronouns got me like woah now”. Il s’agit ici d’une critique directe de la génération Z (que l’on appelle en France “les 2000”) et leur sensibilisation accrue aux questions de genre et de pronoms. L’expression “unlock rounds” suggère une confrontation ou une attaque verbale imminente, symbolisée par l’onomatopée “Prr-rrr-rrr,” évoquant le bruit d’une arme à feu, indiquant un conflit culturel. Cette ligne reflète sa perception des débats modernes sur les identités de genre, marquant son étonnement et son décalage avec les valeurs de cette génération, tout en maintenant son style provocateur et controversé. Eminem répond ici aux accusations sur les réseaux sociaux, où on le décrit tel un homophobe/transphobe.
Eminem tisse son autoportrait tel un artiste incompris luttant contre la société tout en se battant avec ses démons. Cependant, il souhaite garder ses idéaux et ne pas sombrer dans la “bienpensance” et l’acceptation du progressisme incarné par l’idéologie nouvelle de la génération Z.
Eminem prouve sa longévité avec la résurrection de son flow légendaire
Le plus gros coup de cœur de la rédaction est le son “Fuel” avec JID, où lui et Em enchainent les punch sur une prod’ incroyable. La partie de JID peint une image poignante de son environnement, capturant l’essence de la lutte et de la survie, tandis que le vers d’Eminem, alimenté par un flow implacable, semblable à celui de ses débuts, met en lumière sa longévité et son adaptabilité dans la scène rap, rythmée à des lignes de diss’ où il vise explicitement des rappeurs comme Diddy:
“Je suis comme un R-A-P-E-R, j’ai tellement d’essais. S.A.’s ?”
Attardons-nous sur cette punchline intéressante. R-A-P-E-R en anglais, avec un seul P, renvoie à “Rapist”, qui veut dire violeur. Em termine également la ligne par “P, did he”(P, as-tu?), qui est un homonyme de P. Diddy, l’un des noms de scène du rappeur Sean Combs. Em a déjà mentionné Diddy en référence à son implication dans la mort de Tupac. Diddy est une figure controversée et a été poursuivi à plusieurs reprises pour agression sexuelle. S-As, abréviation de agressions sexuelles, est un homonyme de “essays” (mentionné dans les vers précédents) et aussi un homonyme de “ese”, un terme espagnol mexicain pour désigner un ami.
Enfin, toute cette ligne peut également renvoyer aux paroles “Wait, he didn’t just say what I think he did, did he?” d’une de ses chansons emblématiques de Slim Shady : The Real Slim Shady.

Sean Combs, également connu sous les noms de Puff Daddy et P.Diddy, accusé par plusieurs femmes d’agressions sexuelles.
A part cela, nous avons enfin le retour, ou plutôt la suite du “Guilty Conscience” de 1999, avec un second volet dans laquelle Em engage magistralement un dialogue interne intense qui brouille les lignes entre l’introspection et l’auto-incrimination avec un beat offert par la collaboration entre Dem Jointz et Fredwreck. La dynamique de l’alter ego d’Eminem est brillamment explorée alors qu’il se bat avec sa conscience et les aspects les plus sombres de son psychisme. Eminem n’a tellement plus de concurrence qu’il se lance dans un rap battle avec lui-même.
Les punchlines “Tu m’as créé pour dire tout ce que tu n’avais pas les couilles de dire” et “Tu étais socialement maladroit jusqu’à ce que tu me moules” soulignent la symbiose complexe entre Slim Shady et Marshall Mathers. La narration culmine dans une confrontation tendue et presque théâtrale, ponctuée par des images saisissantes de strangulation arrière et un scénario dramatique de meurtre-suicide.
Des featuring déçevants ?
Par surprise, Skylar Grey revient (ENCORE UNE FOIS) en featuring dans un album d’Eminem; mais curieusement, sa prestation était très pertinente sur l’hommage sincère à Haile, “Temporary”, imprégné de vulnérabilité candide et de profondeur émotionnelle, s’adressant à sa fille alors qu’il contemple sa mortalité et met à nu ses angoisses de la laisser derrière lui. En featuring avec Jelly Roll, “Somebody Save Me”, il offre ici un récit introspectif imprégné de regret et d’un désir de rédemption. Eminem confesse ses échecs en tant que père et l’impact de son addiction, offrant un aperçu des émotions complexes qu’il combat dans sa quête de rédemption. D’autres featurings, y compris EZ Mil sur “Head Honcho”, ainsi que BabyTron et Big Sean sur “Tobey”, n’ont pas vraiment innové, mais restent passables.

Miniature du clip promotionnel de Tobey, en featuring avec BabyTron et Big Sean // Youtube
Une fin tragique mais nécessaire
La discographie du rappeur de Detroit a longtemps traité de ce conflit permanent entre Marshall Mathers et Slim Shady. Alors que les fans dévoués suivent de près cette lutte artistique, les auditeurs occasionnels et les critiques échouent souvent à distinguer les deux. Il s’agissait alors, pour Eminem, d’un moyen clair de les différencier une bonne fois pour toute, de dissocier Marshall de son alter ego, afin de libérer sa conscience et se défaire de ses regrets.
La théâtralité excessive de l’album semble taillée pour les fans de longue date, offrant l’expérience quintessentielle d’Eminem qu’ils attendent avec comme clou du spectacle, la mort du rappeur le plus controversé des Etats-Unis. Mais la mort de ce personnage ne veut pas dire la mort de son héritage, de son emprunte dans l’histoire du rap. The Death of Slim Shady montre finalement la capacité d’Eminem à laisser une empreinte durable, que ce soit en tant que Marshall Mathers ou son alter ego controversé.
Pour écouter l’album, rendez-vous sur les réseaux d’Eminem ou directement sur SPOTIFY!